Textes
Charlie Tastet inaugurait son exposition dans les arènes de Vic Fezansac pendant la féria de Pentecôte en 2008 quand je l’ai rencontré. Il raconte l’histoire du Tragabuches de le Nena et de Pepe el Lisstillo, sujets de ses peintures, avec la fougue d’un mousquetaire. Le débit des mots est celui d’un rapide, comme l’eau d’un gave en crue. Son regard précis, déterminé et exigeant contredit ce chaos. On le sent habité par un feu plus fort que les mots. Je l’écoutais d’une oreille distraite car toute mon attention était captivée par la présence (comme on dit d’un acteur) de ses peintures.
Bien sûr Charlie Tastet, comme tout jeune artiste est encore à l’écoute de ses maîtres, mais tout de suite il faut entendre une mélodie inconnue qui n’appartient qu’à lui. C’est sur cette chance qu’il construit une oeuvre originale, indépendante et, traversé par ce don, il nous révèle déjà quelque chose de nouveau sur nous-même.
Gérard Fromanger
Artiste, Sienne, 08/08/2008
Devenir un héros en combattant le taureau. Avoir les yeux des autres rivés sur soi et briller. Abandonner le héros pour prendre les pinceaux.
Commencer à combattre la toile et la laisser gagner.
Charlie Tastet a toréé dans les ruelles chaudes de l’Espagne, il a peint sur les toits tumultueux de Shanghai, il s’est perché en haut des sommets de Bolivie… mais toujours la Chalosse l’a rappelé. Son atelier est une cabane au fond du jardin, au milieu d’un poumon vert où la lumière résonne. C’est à Saint-Sever que Charlie peint. C’est là que ses yeux bleus de peintre essaient de donner vie à ses sensations. À travers son regard, il nous fait vivre « demain », le chaos qui émanera de la terre. Pour lui, c’est le tableau qui commande et la peinture crée la lumière.
Il est difficile de donner à voir l’avenir, et c’est bien ce que Charlie nous montre dans ses tableaux. Les paysages chaotiques dans lesquels le peintre nous jette sont comme des « fenêtres ouvertes sur le monde ». Ce monde, il va vite, il est acide. Les couleurs en ont pris possession. Elles dialoguent, elles se superposent, elles virevoltent et Charlie les capte au moment où elles se décident enfin à parler. C’est la naissance de l’absence, le chaos mis sur pause. Le paysage est vert pomme ou rose bonbon mais le bleu de Sèvres domine. Quand on lui demande pourquoi le bleu ? Il répond « Je ne sais pas, le ciel ? la mer ? Marie… ». Si Marie est bleu, l’amour est bleu,
et c’est ce vers quoi mène le chaos de Charlie. Et puis le bleu, c’est l’espoir.
Ses paysages futuristes illustrent la phrase de Braque « l’espoir est né de la crainte de demain ». Des apocalypses noires au chaos colorés, c’est cette « crainte de demain » que les tableaux de Charlie évoquent.
Charlie se dit non militant. Et pourtant il y a une dimension politique dans ses toiles, une réflexion sur l’avenir du monde. Si ce n’est pas du militantisme c’est du moins de l’engagement. Ses paysages d’où émane la lumière sont des manifestes humanistes qui nous confrontent à la nature. Ils révèlent une terre bousculée que nous sommes en train de détruire. Mais dans cette vision lyrique, l’horizon reste, comme l’épine dorsale de l’espoir,
comme la promesse d’un futur différent.
On ne sait plus trop ce qui est peinture, ce qui est couleur. La peinture glisse sous le pinceau du peintre et la couleur habille le tableau. La matière picturale s’anime. La transparence évoque la transition et le mouvement incessant. Elle devient motif et éclate dans une renaissance fulgurante. Charlie Tastet est l’Artiste de Redon, celui qui « vient à la vie par un accomplissement mystérieux. Il est un accident. Rien ne l’attend dans le monde social. Il naît tout nu sur la paille sans qu’une mère ait préparé ses langes ». La peinture de Charlie est un choc et Charlie Tastet est né. Il a décodé l’équation qui projette le peintre dans son époque avec passion.
Alors le tableau gagne et le tableau est beau. En laissant parler la peinture, Charlie fait gagner le monde.
Marie Ferey
Abstractions réalistes ou Le géomancien et son sismographe
Si Charlie Tastet était un géomancien, ses peintures seraient le sismographe qui rend compte d’événements infimes et spectaculaires, sereins et dramatiques qui se déploient dans l’espace entre un regardeur et les objets de ses contemplations.
Allant du paysage géographique d’allure classique vers des considérations sur la finitude de l’humanité et la catastrophe environnementale dont nous sommes les témoins en passant par des paysages visionnaires à la géométrie inédite, Désert intime est le nouveau voyage auquel le peintre invite le spectateur.
Définie par la rareté de son peuplement humain, l’immensité géographique d’un désert qui s’étend à perte de vue est une expérience de solitude. On s’y rend avec la perspective d’une potentielle expérience existentielle. En miroir, l’intime est l’infini sur lequel s’enregistrent et se déploient cette qualité d’expérience et les intuitions dont elle est porteuse.
Comme dans ses tableaux où la ligne d’horizon dessine deux espaces distincts tout en les rapprochant, la peinture de Charlie Tastet s’installe dans un intervalle entre deux mondes, paysages extérieur et intérieur, monde présent et futur, vie et mort. Cette ligne toujours présente est à la fois une séparation et un lieu de rencontre. Et cette puissance de connexion semble se renforcer et en se complexifier au travers de la pratique artistique du peintre. Les deux espaces distincts offrant des vibrations de bleus intenses qui résonnent comme l’indice d’une sérénité gagnée, tirent vers des couleurs saturées accentuant une abstraction visionnaire.
L’expérience de la contemplation infuse de la durée dans la peinture comme acte du peintre et du regardeur. Partition d’une musique spatio-temporelle, elle est inaugurée par un premier choc immédiat qui se déplie ensuite en un lent parcours dans les différentes strates de l’œuvre – mouvement subtile des dégradés verticaux, mouvement horizontal de vagues ou de dunes qui emportent le voyageur vers un lointain qui se précise. A mesure qu’on s’installe dans cet état méditatif, le temps ralentit et les perceptions s’affinent. Sur le calme des grands espaces raréfiés, de nouveaux phénomènes deviennent perceptibles. Formes nuageuses en série dans le ciel, qualité aqueuse ouvrant sur des effets de transparence et de matière vaporeuse en surimpression, ponctuation verticale. La toile acquière de nouvelles dimensions qui s’entrelacent, se contredisent et s’équilibrent : impressions de symétrie faussée, réflexions diffractées, géométrie aux repères troublés.
Si le désert intime pourrait sonner comme le constat acerbe d’une humanité appauvrie, Charlie Tastet semblent plutôt proposer une cosmologie où des dimensions séparées peuvent entrer en contact, où l’ordre accueille le chaos et où les finitudes sont des lieux de passage. En s’attachant à ce point de vue, son œuvre est une invitation à l’humilité, à un éclat de rire lumineux s’échappant d’intuitions parfois sombres – ou l’inverse – et à l’amour de la beauté d’un monde dont il reste encore bien des nuances à découvrir.
Julia Bastard